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Partenariats public privé : ni excès d’honneur ni indignité

La récente affaire de la rénovation des écoles de Marseille en PPP (Partenariats Public Privé), dans laquelle le Tribunal administratif de la cité phocéenne a annulé, le 12 février dernier, un contrat d’un milliard d’euros passé par la Ville avec des majors du BTP pour reconstruire d’ici à 2025 une trentaine d’écoles, a, une nouvelle fois, placé ce drôle d’acronyme sous les feux de l’actualité et pas simplement juridique.

De quoi s’agit-il au juste ? De l’association des entreprises privées au financement et à la conception de bâtiments et d’infrastructures publiques dans une logique partenariale de long terme. Association qui est, en réalité, très ancienne.

Sans même remonter au Moyen âge durant lequel, par exemple, les rois avaient organisé la mise en valeur du Sud-Ouest par des emphytéoses collectives pour construire des villages appelés « bastides », des concessions de services et de travaux publics sont apparues du XVIe au XVIIIe siècle afin d’équiper le pays en moyens de communication et de faire fonctionner les villes. Ce modèle concessif, dans lequel les entreprises privées sont habilitées à réaliser tout ce que l’on qualifie aujourd’hui de services publics en étant rémunérées, non pas par les collectivités publiques, mais directement par les usagers de ces services, s’est développé au XIXe siècle et s’est même maintenu jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, où la montée de la pensée collectiviste et le modèle de l’Etat Providence ont disqualifié ce système fondé sur la prééminence du secteur privé au profit d’interventions publiques directes dans la sphère de l’économie.

Le secteur privé allait devoir attendre trois décennies avant de prendre une première revanche. Au début des années 1980, les grandes lois de décentralisation ont notamment transféré aux collectivités locales un important patrimoine scolaire, souvent dans un état avancé de délabrement dû à la carence prolongée de l’Etat à lui accorder les travaux d’entretien qu’il aurait mérités. Résultat : les Départements et les Régions, nouvellement compétents pour les collèges et les lycées, ont dû se lancer rapidement dans des opérations de rénovation/reconstruction qu’ils ont, faute (déjà !) de deniers publics suffisants, décidé de faire préfinancer par les entreprises privées, en les rétribuant au moyen de paiements partiels étalés pendant toute la durée du contrat. Concession à paiement public, en définitive, qui n’a toutefois pas résisté à sa mise à mort ordonnée par le Conseil d’Etat, au motif que le Code des marchés interdisait le paiement public différé dans le temps.

Mais la mise à l’écart du secteur privé ne pouvait perdurer car, dans la pratique, les collectivités, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires et de transferts de compétences non intégralement compensés, continuaient à ressentir l’impérieux besoin d’externaliser des prestations de construction et de réhabilitation assorties d’un préfinancement à la charge de leurs partenaires privés. Encore fallait-il disposer d’un outil juridique adapté. Nos voisins européens y ont contribué.

Le vaste programme, dénommé Private Finance Initiative (PFI), engagé par la Grande-Bretagne au début des années 1990 pour rénover et réformer les services publics britanniques, qui s’est d’ailleurs assez largement inspiré du modèle concessif français, a fait des émules en Italie, en Espagne et au Portugal. Au point que la Commission européenne a fini par adopter un Livre vert sur les PPP en 2004.

Le fruit était mûr pour que le droit français ajoute dans son arsenal un nouveau dispositif contractuel permettant d’offrir aux collectivités locales des prestations globales. Ce fut l’objet d’une ordonnance du 17 juin 2004 qui, en créant le contrat de partenariat, a, pour la première fois, apporté une définition juridique du PPP (en dehors de sa version institutionnalisée, la société d’économie mixte locale) : confier, par contrat, une mission globale comprenant le financement (au moins partiel), la construction et l’entretien d’ouvrages ou équipements publics à un opérateur économique ou à un groupement d’opérateurs, qui sera rémunéré par un paiement public pendant toute la durée (qui a vocation à être longue) du contrat. On le voit : le législateur a ainsi contourné la prohibition du paiement différé inscrite dans le Code des marchés publics, qui bloquait toute possibilité de prévoir des versements publics répartis dans le temps.

Même si des réserves ont été, dès le départ, émises, l’enthousiasme était cependant plutôt de mise : l’effet d’aubaine budgétaire (en tout cas au début, en phase de montée en puissance du contrat) lié à la mobilisation massive de fonds privés pour se substituer aux (ou compléter les) fonds publics en périodes de pressions accrues sur les finances locales allait permettre de mener davantage de projets publics et plus vite (une seule entreprise générale au lieu de nombreux corps d’état), sans avoir à fractionner les engagements budgétaires au risque de voir les livraisons repoussées dans le temps.

Ayant fortement intérêt à livrer l’équipement dans les délais prévus pour commencer à percevoir les loyers, le partenaire privé chargé de sa maintenance sera incité à fournir un ouvrage de qualité afin de minimiser ses coûts d’entretien.

Après une phase de rodage (2004-2008), puis d’essor (2008-2011), le PPP à la française reposant sur un raisonnement en coût global n’a plus la cote depuis 2012-2013

On a constaté qu’il n’est encore guère possible de trancher la question de la performance réelle de cet outil dérogatoire par rapport à des formules plus classiques de la commande publique et que les risques, notamment financiers (la collectivité locale versant pendant plusieurs années des loyers portant distinctement sur l’investissement, le financement et la maintenance des équipements), liés à une absence de soutenabilité budgétaire ne doivent pas être sous-estimés. L’enquête que la Cour des comptes a menée en 2015 l’a ainsi conduite à remarquer que les contrats de partenariat pouvaient s’avérer, a posteriori, plus coûteux que les marchés publics classiques, les loyers versés étant souvent trop élevés – ce qui peut d’ailleurs conduire les collectivités à sacrifier d’autres investissements par ailleurs tout aussi nécessaires – et les coûts prévisionnels, largement dépassés. Et les doutes des magistrats de la rue Cambon sont partagés par leurs homologues de l’Union européenne : la Cour des comptes européenne a publié, à la fin du mois de mars de l’année dernière, un rapport au vitriol sur les PPP, qui auraient « accru le risque de concurrence insuffisante » et « pâti d’un manque considérable d’efficience pendant leur phase de construction ».

UTILISER LE MARCHé DE PARTENARIAT à BON ESCIENT 

Ce climat général devenu plutôt hostile a récemment conduit le ministère de la Justice à y renoncer pour la construction de nouvelles prisons.
Est-ce bien justifié ? S’il ne faut surtout pas nier les écueils liés à la formule, force est, toutefois, de constater que le contrat de partenariat (devenu le marché de partenariat depuis la réforme de la commande publique de 2015) a souvent rempli son office : délivrer rapidement des bâtiments et infrastructures de bonne qualité, sans dérapages budgétaires significatifs. Que l’on songe au Nouveau Stade de Bordeaux, à sa Cité Municipale ou encore aux piscines du sud du Bassin d’Arcachon. Alors qu’à l’inverse les réalisations sous maîtrise d’ouvrage publique tournent parfois au fiasco (Philharmonie de Paris, Musée des Confluences de Lyon, …). L’outil ne mérite donc sans doute pas d’être voué aux gémonies. Il importe simplement de l’utiliser à bon escient, lorsque les conditions apparaissent objectivement bien réunies : complexité réelle ou urgence avérée du projet, bilan plus favorable que les autres modes contractuels, collectivité en mesure de bénéficier d’un accompagnement efficace de la préparation à l’exécution et au suivi du contrat. 

Et puis n’oublions pas que les PPP ne sont pas seulement des marchés de partenariat mais recouvrent en fait, on l’a dit, des formes contractuelles diverses, dont les fameuses concessions à la française reconnues au niveau international. Ni excès d’honneur, ni indignité pour les PPP.

Cyril CAZCARRA, Avocat, associé-gérant NOYER-CAZCARRA Avocats, Bordeaux Maître de conférences associé, Université de Bordeaux.