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Coronavirus, les leçons des vétérinaires

Le président du laboratoire libournais Ceva a publié une note blanche pour rappeler que les vétérinaires sont des spécialistes des coronavirus et des épidémies. Regrettant qu’on n’ait pas fait appel à leur expertise dans la crise du Covid-19, Marc Prikazsky tire Les leçons des événements et livre ses conseils pour la suite. Entretien.

PHOTO PATRICK BERNARD LE 2 JUIN 2014 A LIBOURNE: RDV avec Marc Prikazsky au siège de Ceva de Libourne. Photo Patrick Bernard pour " Challenges".

Échos Judiciaires Girondins : En tant que laboratoire pharmaceutique vétérinaire, vous connaissez bien les coronavirus. Est-ce un virus très commun chez les animaux ?
Marc Prikazsky : « Oui, c’est une grande famille de virus, avec 4 groupes principaux à l’intérieur : alpha, bêta, gamma, delta. Le nom corona vient d’une couronne autour du virus, une forme caractéristique avec des spikes (pointes, NDLR), qui sont les zones qu’on cherche à attraper avec des anticorps. Il peut y avoir des coronavirus sur les canards, les poulets, les porcs, les vaches laitières, etc. En santé humaine, il y a les coronas des jeunes enfants qui provoquent des problèmes respiratoires souvent superficiels classiques, comme le rhume. Il y en a sur toutes les classes d’animaux, sur quasiment toutes les espèces, qui provoquent des maladies très variables, dont le bêta, qui est le Covid ».

EJG : Les cas de contamination des animaux vers les hommes sont-ils communs ?
M.P. : « La très grande majorité des nouvelles infections touchant l’homme, notamment des maladies extrêmement disruptantes comme le SRAS 2 ou Ebola, vient d’espèces sauvages. En particulier des chauve-souris pour le coronavirus, car elles hébergent au moins 40 types de coronas différents, auxquels elles sont extrêmement tolérantes. Elles sont notamment à l’origine du SRAS, du MERS et certainement du Covid-19. Ensuite, comment la chauve-souris va infecter l’homme ? Souvent par un intermédiaire qui a une proximité plus importante avec l’homme. Le MERS, un coronavirus apparu au Moyen-Orient, est passé d’une chauve-souris, à un dromadaire, à l’homme. Ensuite, la pandémie devient pandémie quand l’homme transmet à l’homme. Mais en général, le virus finit dans un cul-de-sac. Il faut des conditions très particulières pour qu’il soit transmis à l’homme. On l’a vu également avec des grippes d’origine aviaire, apportées par des palmipèdes, des anatidés sauvages, qui la transmettent à des canards domestiques, en se posant à proximité ».

La très grande majorité des nouvelles infections touchant l’homme vient d’animaux sauvages

EJG : Le virus est donc toujours d’origine animale ? A-t-il une saisonnalité ?
M.P. : « Les nouvelles infections humaines, les grandes pandémies, sont à 70 % d’origine animale. Il y a aussi des infections récurrentes qui peuvent tourner autour du globe en fonction des saisons. Actuellement, on se demande si le Covid-19 va baisser pendant l’été. 
Or on sait que le coronavirus n’est pas très résistant à l’extérieur pendant les périodes chaudes : s’il y a beaucoup de soleil, il va avoir tendance à être détruit plus vite, donc la probabilité de le transmettre à quelqu’un se réduit. Mais dans les lieux de vie à forte densité, ça ne veut pas dire que ça va s’arrêter, car si vous êtes à côté de quelqu’un qui tousse, et qui vous l’envoie directement, le virus n’a pas le temps d’être détruit par la lumière ou la chaleur. En effet, si le virus se transmet par les muqueuses, la plus forte probabilité d’être contaminé, c’est par les gouttelettes libérées quand on tousse ou par les mains, parce qu’on a touché un endroit que quelqu’un vient de contaminer puis on se touche les yeux, la bouche, le nez. Certaines pratiques peuvent aussi favoriser la contamination, comme dans le Sud-Ouest, par exemple, où l’on se fait la bise, en Espagne ou en Italie, où l’on se fait des accolades. Tous ces facteurs interviennent. On est dans de l’épidémiologie, qui n’est qu’un problème de probabilité ».

 

EJG : On a vu des cas de contamination d’un homme vers un chat… Les hommes peuvent-ils transmettre le virus aux animaux ? 
M.P. : « Les espèces animales sont très variables. Un article écrit il y a plus de 10 ans par une équipe de Hong-Kong disait déjà que des coronavirus et de grandes pandémies viendront des chauve-souris. D’ailleurs, il faudrait qu’on ait beaucoup plus de chercheurs sur le terrain plutôt qu’en labo, pour analyser par exemple la chauve-souris, ce qu’elle contient comme type de coronas, comment elle les transmet… Néanmoins, on ne sait pas pourquoi, mais on a constaté qu’il y avait très peu de transfert d’une espèce à l’autre. Des études menées par les Chinois ont montré par exemple qu’il n’y a pas de transfert au chien. En revanche, c’est très peu fréquent, mais ils ont démontré qu’il pouvait y avoir transmission aux chats et aux furets. Heureusement, le chat est un cul de sac épidémiologique : il ne va pas transmettre à son tour le virus. Les recommandations aujourd’hui, pour protéger votre chat, c’est de ne pas être en contact avec lui si vous êtes malade ».

 

EJG : Est-ce que vous avez développé un vaccin contre le coronavirus chez les animaux ?
M.P. : « Oui, on a des vaccins, notamment pour la bronchite infectieuse de la volaille. C’est un coronavirus d’un autre groupe que le Covid, qui n’est pas du tout transmissible à l’homme, qui peut prendre des formes très graves. On a développé « un vaccin vivant atténué » vendu dans le monde entier et qui marche extrêmement bien. Il ne se distribue pas par injection, mais par spray, ainsi le vaccin va au plus profond des poumons, sur les muqueuses. On le met aussi dans l’eau de boisson et les animaux s’immunisent par cette voie-là. C’est une approche différente, qui pourrait un jour être utilisée en médecine humaine. D’autant que cela permet de vacciner une grande quantité d’individus. Concernant le Covid-19, d’après Sanofi notamment, il devrait y avoir un vaccin d’ici l’été prochain, au mieux. Mais il va falloir le produire. Ce sera un véritable challenge, car on parle potentiellement de milliards de doses, et d’une vaccination de masse. Il faudra certainement avoir des schémas vaccinaux avec en priorité les personnes les plus vulnérables : les personnes âgées et celles qui ont une autre pathologie. Cette situation de crise est donc pérenne, il va falloir vivre avec ».

Je regrette que les vétérinaires aient perdu leur place, qui aurait pu être beaucoup plus importante dans cette crise

EJG : Quelle contribution pouvez-vous apporter en matière de santé humaine ?
M.P. : « Quand on est vétérinaire, on est un mélange entre un médecin des animaux de compagnie, qui traite l’individu, et un épidémiologiste, qui traite le groupe en priorité. Quand un élevage est atteint par une maladie, on regarde d’abord la dynamique de l’infection sur le groupe et on cherche comment protéger un maximum d’animaux, en maîtrisant le niveau d’infection. On fait du management de la pathologie, ce qui n’existe pas ou très peu en santé humaine. Nous maîtrisons également le diagnostic, en particulier la PCR, qui permet de voir pendant la virémie s’il y a présence ou pas d’un virus ou d’une bactérie dans le sang. C’est le premier kit qu’on utilise aujourd’hui dans le diagnostic du Covid-19. On peut en pratiquer des centaines de milliers par semaine dans les laboratoires vétérinaires. Et quand on sait qu’il faut faire 2 tests en 48 heures pour réduire son taux d’erreur, j’ai été outré de voir qu’on ne faisait pas appel aux labos vétérinaires, alors qu’il y en a un dans chaque département. Aujourd’hui, les labos de santé humaine leur sous-traitent la PCR, mais ça a pris beaucoup trop de temps. Nous savons également effectuer les sérologies : on mesure les anticorps dans le sang, afin de dire si vous avez eu l’infection, et éventuellement si vous êtes protégé. On sait faire les sérologies par centaines de milliers, parce que quand vous soignez un élevage, vous cherchez à avoir son profil, alors vous en faites des dizaines. Notre contribution existe donc sur l’épidémiologie, sur le diagnostic et la sérologie, mais aussi potentiellement sur les vaccins. On a beaucoup plus de techniques de vaccins différentes, comme le spray. Il y a les vaccins vectorisés, les vaccins vivants atténués – qui ne sont pas utilisés en santé humaine, car on a peur d’avoir une réversion de la virulence ou des effets secondaires. Je pense qu’on peut apporter énormément ».

 

EJG : Pourquoi ne fait-on pas appel à vous ? Y a-t-il des limites réglementaires ?
M.P. : « La France est gérée de tout en haut et très silotée, ce cloisonnement atteint un niveau incroyable. Tout ce qui concerne la santé humaine est géré par le ministère de la Santé, tandis que pour la santé vétérinaire, il s’agit du ministère de l’Agriculture. Ce sont deux mondes très différents. Les médecins aussi sont dans leur monde, les vétérinaires dans le leur. Je prône évidemment très fortement la décentralisation. Les vétérinaires, qui sont des épidémiologistes, ont beaucoup de bon sens. On est très polyvalents, on a la chance de travailler sur plein d’espèces différentes. Et l’innovation, elle vient très souvent de la confrontation de gens qui sont experts dans des domaines différents. Je regrette que les vétérinaires aient perdu leur place, qui aurait pu être beaucoup plus importante dans cette crise. Je regrette que fondamentalement, des entreprises comme Ceva, des labos vétérinaires ne soient pas mis à contribution. Par exemple, j’avais prévenu la ministre qu’il y avait des respirateurs dans chaque clinique vétérinaire. Il fallait les réquisitionner ! Pour nous, la santé de l’animal est liée à la santé de l’homme et interfère sur l’environnement. C’est un triptyque absolument clé ».

 

EJG : Les activités de Ceva ont continué durant le confinement. Votre siège est à Libourne, vous avez des usines en Chine, aux États-Unis Comment vous êtes-vous adapté ? 
M.P. : « La crise, on l’a d’abord vécue en Chine, on a énormément appris de ce qui s’est passé. On a été obligés de quasiment fermer nos deux sites chinois, à Pékin et près de Hangzhou. Quand la crise est arrivée en Europe deux mois après, on avait une certitude, c’était qu’il fallait continuer à faire tourner nos usines. Mais avec des mesures qu’on connaissait : des masques, du gel hydroalcoolique (on a fabriqué notre propre gel sur notre site de Loudéac), la distanciation. Nos sites de production ont tout le temps fonctionné en France, en Europe, aux États-Unis ou au Brésil. On fait aussi beaucoup de télétravail et on va devoir repenser nos bureaux, car je ne veux prendre aucun risque. Mais j’ai une hâte, c’est de faire revenir au moins une journée par semaine les télétravailleurs, car je pense qu’il faut qu’ils reprennent contact avec les autres. Les gens ne comprennent pas cette maladie, c’est hyper anxiogène. Mais il faut qu’ils arrivent à vaincre leur peur potentielle. La reprise économique sera le rôle de tous, et si les gens ont peur, ils ne vont pas dépenser. Donc on est en train d’aider les gens à s’éduquer, on leur donne des procédures, on leur fait des fiches. On les rassure, on leur donne des statistiques, on raisonne « groupe » : on leur rappelle que le Covid touche très peu les enfants, et que l’âge moyen de mortalité est de 81 ans. Nous avons eu 5 premiers cas de malades avant le confinement, et globalement, au périmètre de l’entreprise, on a eu 60 cas, et aucun n’a été contaminé sur nos sites. Avec des bonnes mesures, il n’y a pas de risques ».