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Coronavirus, la procédure sans audience

La justice civile n’en finit pas de se réformer. Modernisation, amélioration et simplification sont devenus ses nouveaux mantras même si la cohérence de l’ensemble échappe parfois au praticien. Alors que l’audience semblait l’étape incontournable du procès, la loi prévoit désormais que la procédure civile peut se dérouler sans audience. À quelles conditions et avec quelles conséquences ? En quoi cette nouvelle procédure modifie-t-elle le rôle du juge et des avocats ?

Parmi les cinq chantiers de la justice ouverts par le gouvernement en 2017 figurait celui visant à l’amélioration et la simplification de la procédure civile. Le groupe de travail Agostini-Molfessis avait émis une proposition n°17 visant à «permettre au juge de statuer sans audience, dès lors que les parties en seront d’accord ». Cette proposition qui a été reprise dans le projet de loi de programmation pour la justice 2018 – 2022 dans sa partie prévoyant « un règlement des litiges sans audience » figure désormais aux articles L 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire et 778 du code de procédure civile. Si la procédure sans audience peut constituer une solution pour tenter de répondre à l’engorgement des juridictions, elle interroge sur l’évolution du rôle du juge et de l’avocat. Chacun comprend que la procédure sans audience doit demeurer encadrée pour ne pas évoluer à terme vers une situation imposée aux parties qui violerait leur droit d’accès au juge ou les principes directeurs du procès. À ce propos, l’ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-304 prise en application de la loi d’urgence sanitaire mérite déjà une vigilance particulière.

La procédure sans audience : une solution à l’engorgement des juridictions ?

Bien que présenté comme une nouveauté, le modèle d’une procédure écrite sans audience existait déjà par l’article 5, § 1er bis, du règlement (CE) n° 861/2007 du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (mod. par Règl. [UE] 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil du 16 déc. 2015) Cette procédure était néanmoins peu médiatisée et peu utilisée.

Désormais intégré au code de l’organisation judiciaire, l’article L. 212-5-1 prévoit que « Devant le tribunal judiciaire, la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite. Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande ». Le nouvel article 778 du code de procédure civile dispose quant à lui que « lorsque les parties ont donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience conformément aux dispositions de l’article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire, le président déclare l’instruction close et fixe la date pour le dépôt des dossiers au greffe de la chambre (…) »

La procédure sans audience entrée en vigueur au 1er janvier 2020 est ainsi apparue de manière très encadrée. Le lecteur attentif aura d’ailleurs bien noté avec quelles précautions le texte de l’article L 212-5-1 du COJ insiste sur le caractère volontaire de la démarche ; il doit s’agir d’une initiative des parties laquelle doit recueillir leur accord exprès. Et, même sous ces deux conditions quasi tautologiques, si le juge considère qu’il ne peut rendre sa décision selon cette modalité, il peut décider de tenir une audience. Ainsi, en aucun cas, en principe, le tribunal ne peut imposer une procédure sans audience aux parties qui s’y opposeraient ou qui n’en auraient pas fait expressément la demande. 

Un exercice de rigueur

Les modifications du code de l’organisation judiciaire et du code de procédure civile créant la procédure sans audience viennent entériner et rationnaliser la pratique du « dépôt de dossier ». Impensables il y a trente ans, elles n’ont été rendues possibles qu’en raison d’un recul progressif
de l’oralité en matière civile et des échecs de l’interactivité des débats entre le juge et les avocats. Pourtant des efforts avaient été faits, notamment par l’introduction de la technique du rapport amenant l’un des magistrats de la composition à exposer les faits et les prétentions des parties avant d’ouvrir un débat oral censé alors se concentrer sur les points de droit. Las, chacun pouvait constater que la pratique du dépôt de dossier avait transformé au fil des années la physionomie de nombreuses audiences civiles.

Cependant, la procédure sans audience, loin d’être une solution de facilité, impose au contraire une rigueur accrue à l’avocat désirant y avoir recours. La motivation en fait et en droit, la concentration des demandes dans le dispositif, le visa des pièces et leur récapitulation dans un bordereau annexé par exemple devront être d’autant plus respectées que l’avocat ne pourra plus espérer disposer de l’aide du juge à l’audience « physique » pour obtenir une précision sur une demande ou un subsidiaire, le sens ou l’utilité qu’il entend retirer d’une pièce ou la réponse à un moyen de droit adverse. L’avocat acceptera, par le recours à cette procédure sans audience, de renoncer à la présentation, même synthétique de l’argument ou de la pièce rendant imparable son argumentation. Il devra évidemment veiller à non seulement prévenir son client du recours à cette procédure mais surtout obtenir son accord afin que celui-ci ne se méprenne pas sur le rôle de son conseil et ne l’interroge pas inutilement sur ses impressions d’audience. Cet accord du client est d’autant plus nécessaire que le décret du 11 décembre 2019 a instauré pour les procédures introduites à compter du 1er janvier 2020 l’exécution provisoire de droit des décisions de justice aux lieu et place de l’effet suspensif de l’appel.

La procédure sans audience au temps du Coronavirus 

A peine entrée en vigueur et alors que chacun s’interrogeait prudemment sur les conditions de la mise en œuvre de la procédure sans audience, la loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 et l’ordonnance du 25 mars 2020 n°2020-304 ont étendu son champ d’application. Si le fonctionnement des juridictions imposait de recourir à des moyens exceptionnels que l’auteur de ces lignes n’entend nullement critiquer, il est étonnant de noter que les conditions de recours à la procédure sans audience qui avaient été rigoureusement encadrés par leurs textes constitutifs aient pu faire l’objet aussi rapidement d’un texte d’exception inversant les principes édictés. L’article 8 de l’ordonnance du 25 mars 2020 est en effet venu balayer les précautions ayant présidé à la mise en œuvre de la procédure sans audience dans les termes suivants :

« Lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider que la procédure se déroule selon la procédure sans audience. Elle en informe les parties par tout moyen. A l’exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, les parties disposent d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience. A défaut d’opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats. Il en est justifié dans les délais impartis par le juge. »

Le fonctionnement des juridictions durant le temps de la crise sanitaire relevant des chefs de juridictions, des avis sont désormais transmis aux parties « par tout moyen » pour indiquer que les dossiers relèvent de la procédure sans audience. Pour les dossiers relevant de la procédure écrite avec représentation obligatoire, les avocats disposent de la faculté de s’y opposer dans le délai de 15 jours. Dans ce cas l’affaire revient alors au régime de la procédure avec audience. Pour les procédures de référé, les procédures accélérées au fond (anciennement dénommées procédures en la forme des référés) et les procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, le principe devient celui de la procédure sans audience sans que soit prévu par le texte de possibilités de renvois. Ceux-ci sont donc nécessairement appréciés différemment selon les magistrats avec pour conséquence commune toutefois des renvois sine die ou très lointains. Le but recherché est celui de la continuité du service public de la justice. Soyons conscients néanmoins que la procédure sans audience lorsqu’elle est imposée et non choisie amène à déroger aux principes généraux du code de procédure civile, au principe du contradictoire, au principe dispositif et aux droits de la défense.

Sur ces différents points la vigilance des avocats s’impose et il est souhaitable qu’à l’issue des circonstances exceptionnelles ayant présidé à l’élaboration des ordonnances fondées sur l’urgence sanitaire, le mécanisme de la procédure sans audience puisse revenir à ce qui était initialement prévu et que son initiative revienne bien aux parties. Concrètement, ces dispositions dérogatoires sont censées prendre fin à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré et désormais de sa loi de prorogation.

En conclusion, la procédure sans audience s’avèrera avec le temps et le retour à la normalité un outil utile au service du juge et de l’avocat si chacun l’utilise à bon escient. Libérant du temps au juge, elle doit lui permettre d’accélérer les procédures en clôturant et fixant le dépôt des dossiers pour la date qu’il fixera. Refusée par l’avocat qui estime, en conscience, que la cause de son client doit être entendue, elle doit amener le juge à être d’autant plus attentif aux arguments qui lui sont présentés.

Sur ce point, comme sur tant d’autres, la phrase d’Henri Bergson « l’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire » demeure plus que jamais d’actualité.  

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