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Contention de l’urbanisme : ce qui change

Partant du constat que les acteurs économiques perçoivent le contentieux de l’urbanisme comme un frein à la construction en raison de l’insécurité juridique que ses dérives font peser sur les projets, le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 et la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) du 23 novembre 2018, inspirés par le rapport Maugüé, ont adopté de nouvelles mesures visant à limiter le nombre de recours contre les autorisations d’urbanisme par le biais de restrictions contentieuses et à consolider les autorisations existantes. Retour sur l’apport de ces réformes.

Des conditions de recevabilité plus strictes

L’obligation de notification des recours en matière d’urbanisme a été étendue à l’ensemble des décisions relatives à l’occupation ou à l’utilisation du sol. Les conditions particulières de démonstration de son intérêt à agir par un requérant au sens de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme sont désormais applicables aux recours dirigés contre ces mêmes décisions. Sont donc concernés, en plus des permis de construire, de démolir ou d’aménager, les refus de retrait ou d’abrogation et les refus de constat de caducité d’une autorisation d’urbanisme, mais pas les certificats d’urbanisme .

En outre, à peine d’irrecevabilité de son recours, le requérant doit produire tout acte de nature à établir son intérêt à agir.

Enfin, les associations ne sont recevables à agir que si elles ont déposé leurs statuts en préfecture au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande d’autorisation d’urbanisme du pétitionnaire et non plus six mois.

L’accélération des procédures

Une requête en référé-suspension contre une autorisation d’urbanisme ne peut désormais être introduite que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort (v. infra). Par ailleurs, le requérant débouté de sa demande de suspension pour défaut de doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée devra confirmer sa requête au fond dans un délai d’un mois, sauf en cas de pourvoi contre l’ordonnance de référé, à défaut de quoi il sera réputé s’être désisté. La loi consacre en revanche la jurisprudence qui institue une présomption d’urgence à saisir le juge des référés, ce qui constitue un élément favorable au justiciable.

Le décret du 17 juillet 2018 et une innovation jurisprudentielle sont venues mettre un coup d’arrêt aux recours présentés tardivement en raison d’un affichage irrégulier de l’autorisation sur le terrain. En premier lieu, dans le cas où le pétitionnaire ne peut pas démontrer que l’affichage a été régulier, un recours ne peut être introduit que dans le délai de six mois à compter de l’achèvement de l’opération, et non plus un an. En second lieu, dans un arrêt du 9 novembre 2018 transposant au contentieux de l’urbanisme la jurisprudence Czabaj, le Conseil d’Etat juge que le principe de sécurité juridique fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment par les tiers une autorisation d’urbanisme. Ainsi pour être recevable, dans le cas où l’autorisation a bien été affichée pendant deux mois sur le terrain mais où le panneau ne comportait pas la mention du délai de recours et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un recours contentieux doit être présenté dans un délai raisonnable d’un an à compter du premier jour de l’affichage de l’autorisation d’urbanisme. En tout état de cause un recours présenté postérieurement à l’expiration du délai de six mois à compter de l’achèvement de la construction n’est pas recevable, alors même que le délai raisonnable d’un an n’aurait pas encore expiré.

La cristallisation des moyens évoquée supra est désormais automatique. Ainsi, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Le juge peut revenir sur cette mesure si le jugement de l’affaire le justifie.

Transposant la jurisprudence administrative  dans le code de l’urbanisme, la loi ELAN prévoit que lorsqu’un permis modificatif ou de régularisation a été délivré au cours de l’instance contre le permis initial et est communiqué aux parties, il ne peut être contesté que dans le cadre de cette instance. Auparavant, seule une injonction de réexaminer la demande d’autorisation d’urbanisme pouvait être prononcée par le juge. Désormais, si le pétitionnaire le demande dans son recours, lorsque le juge annule un refus d’autorisation après avoir censuré l’ensemble des motifs que l’autorité compétente a énoncés dans sa décision et qu’elle a pu invoquer en cours d’instance, il doit lui ordonner de délivrer l’autorisation. L’autorisation ainsi délivrée l’est toujours sous réserve du droit des tiers, ce qui n’empêche donc pas un éventuel recours ultérieur.

Le décret du 17 juillet 2018 impose un délai de dix mois aux juridictions administratives pour statuer sur les recours contre les permis de construire un immeuble collectif (plus de deux logements) ou d’aménager un lotissement. Le non respect de ce délai n’est toutefois pas sanctionné.

Enfin, le décret a reconduit jusqu’au 31 décembre 2022 le dispositif de suppression de l’appel pour les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager lorsque l’opération est implantée en zone tendue (zone dans laquelle existe un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements).

L’accroissement de la stabilité juridique des projets

Afin de favoriser les régularisations, la loi ELAN impose désormais au juge de motiver son refus de faire droit à une demande d’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme ou de sursis à statuer dans l’attente d’une mesure de régularisation. Ces mesures sont étendues aux décisions de non-opposition à déclaration préalable. La loi s’éloigne du régime contraignant du permis modificatif de droit commun. Ainsi la régularisation peut désormais porter sur des constructions achevées, dans le cadre de l’article L. 600-5-1 et porter atteinte à l’économie générale du projet, sous réserve du contrôle du juge.

Le nouvel article L. 600-12-1 du code de l’urbanisme « coupe le lien entre l’illégalité du document d’urbanisme et le permis de construire lorsque cette illégalité ne résulte pas de motifs qui affectent le projet autorisé » (rapport Maugüé). Une règle analogue est prévue pour les permis d’aménager. Ces dispositions ne sont pas applicables aux décisions de refus de permis ou d’opposition à déclaration préalable.

Le renforcement des moyens de dissuasion procédurale

La loi ELAN a assoupli les conditions d’application de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, relatif aux indemnités pour recours abusifs. Elle supprime l’exigence du caractère excessif du préjudice subi par le pétitionnaire et clarifie la notion de recours abusif (comportement abusif au lieu de défense excédant les intérêts légitimes). Les associations agréées pour la protection de l’environnement ne bénéficient plus de présomption d’absence de comportement abusif.

La loi précise aussi le dispositif de la transaction. La mesure qui impose d’enregistrer les transactions conformément à l’article 635 du code général des impôts, sous peine d’action en répétition des sommes versées, est étendue aux transactions par lesquelles une personne ayant fait un recours gracieux s’engage à ne pas introduire de recours contentieux. Les transactions conclues avec des associations ne peuvent plus avoir pour contrepartie le versement d’une somme d’argent, sauf lorsque les associations agissent pour la défense de leurs intérêts matériels propres.

Conclusion

Si l’ensemble de ces règles participent à réduire l’incertitude juridique qui règnent autour des projets de constructions, force est également d’admettre qu’elles encadrent drastiquement le droit au recours dans un secteur pour lequel, in fine, seuls 1,2 à 1,6 % des permis sont contestés.

CE 13 juill. 2016, n° 387763
CE 9 nov. 2018, n° 409872
Article R. 600-5 CU
CE 19 juin 2017, n° 398531
Article L. 600-5-2 CU
CE avis, 25 mai 2018, n° 417350
Article R. 811-1-1 CJA
Articles L. 600-5 et L. 600-5-1 CU
Transposition de l’arrêt CE 22 fév. 2017, n° 392998
V. CE 7 fév. 2008, n° 297227
Article L. 442-14 CU
Article L. 600-8 CU
Rapport Maugüe : « le nombre total de recours représente de 1,2 à 1,6 % des permis ; 50 % des permis attaqués correspondent à des constructions individuelles, entre un quart et un tiers à des habitats collectifs ; 10 % des recours émanent d’associations, 10 autres % des préfets »